Lina tu as fait de notre utopie une réalité
Zeineb Ben Said
Une perte et de retrouvailles me lient à toi petite, la nôtre fille de Sadok et d’Emna : nos camarades, progéniture de tous les perspectivistes ; ils se retrouvent en toi et se perdent sans toi. Ils ont connu un manque intangible : la révolution que toi et tes amis ont pu conquérir. Nous vieux aigris, agrippés à Marx et Lénine ou à la limite à l’idée de pratique théorique d’Althusser, nous voulions transformer le monde par les vertus des diktats inamovibles du verbe placardé sur le réel. Révolutionnaire notre démarche ne manquait pas d’être entachée de traditionalisme. Toi et tes amis, habités par la flamme de la justice et de la liberté vous travailliez à la transformation de la société en y injectant votre génie, en confectionnant de nouvelles praxis où la théorie s’incruste dans l’acte. Vous nous avez appris que l’on peut déployer l’information, la synthétiser la propager par les moyens cybernétiques et les medias en vue de coordonner une révolte et consolider son élan. Lina son appareil photos à la main, une petite voiture déglinguée, brave-le couvre- feu et s’élance vers Sidi –Bouzid ; capte le réel, le communique via Facebook, le transmet aux journalistes et aux chaînes de télévision, elle fait la révolution, elle en est l’icône mais aussi l’agent dévoué à sa réalisation. Tu nous auras appris que l’agir cybernétique et communicationnel sont aussi une force productive du devenir. Tu nous a incités à repenser le social en mutation, à réviser notre savoir par les praxis multiples que tu as inventées avec tes copains fiers et déterminés. Face à la barbarie recrudescente, de par le monde, tu nous a montré que l’on peut réhabiliter l’humanité en nous en redressant les bas fond de la société, tu as collecté les livres et diffusé la culture, dans les prisons, lieux d’éjection des marginaux incriminés par la société. Tu as alors ouvert nos yeux sur un fait palpable autre que le prolétariat et son avant-garde, la prééminence de l’a-social dans notre société. Pardonne-moi, ma chérie, ma perte de ton texte écrit, pour nous, lors du cinquantenaire de Perspectives en 2013. Tu nous a légué beaucoup plus qu’un texte, tu as restitué notre rêve et mis en acte notre utopie. Nous t’aimons Lina, jeunes et vieux, hommes et femmes, toi qui a ébranlé les formes de domination les plus sclérosées de la Tunisie. Tes obsèques inventèrent de nouvelles processions qui ont secoué l’un des rites des plus rigoristes, celui de la médiation avec le monde eschatologique usurpé par l’ordre masculin. Elles marquèrent aussi une révolution dans les mœurs.
Zeineb Ben Said Cherni camarade et amie de Sadok Ben Mhenni et membre fondateur de la Société Perspectives50